Carré Rouge

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A propos du film "Home" : billet d’humeur...

jeudi 18 juin 2009

Home ou l’insupportable « NOUS »

PssschchhiIIITTTTT, pressions de vapeur contre grandiloquente musique sirupeuse et radotante voix off lénifiante, chasse aux faux plis contre déferlement d’images prises on ne sait où : sans la séance de repassage programmée ce soir-là, jamais je n’aurais pu être une des 9 millions de téléspectateurs en France qui, en même temps, ce soir-là, assistèrent à « l’ÉVÈNEMENT », France 2 dixit le lendemain. L’intense campagne de pub sous forme d’extraits-bande annonce diffusés chaque soir en fin de journal télévisé par France 2 la semaine de sa programmation n’avait laissé aucun doute sur la nature du produit : on avait affaire au sempiternel film de propagande que tous les régimes et gouvernements assènent à leur peuple quand l’heure est grave. Et on n’a pas été déçu. Reconnaissable à un discours dogmatique, débité par un locuteur anonyme, illustré par un fatras d’images inidentifiées, celui-ci fut un modèle du genre ne nous épargnant aucun de ses poncifs. Ni l’introduction interdite aux élèves dès le collège « De tous temps les hommes ont… », tarte à la crème toujours fausse du potache en manque d’inspiration, ni la construction laborieuse aboutissant à LA solution, remarquable seulement par son indigence. Le clou du film que les jets de vapeur n’ont pu entièrement masquer était l’omniprésence du « nous » dans l’omniscient discours qui « nous » était tenu. Ce « nous », par exception, excluait presque l’auteur du film et du commentaire tant celui-ci faisait en les faisant œuvre utile et pénétrante en « montrant » les ravages infligés à la « nature ». Il excluait de fait aussi toutes les multinationales du pétrole, de l’agroalimentaire, des transports, etc. les gouvernements et organismes internationaux à leur solde, en ne les nommant pas. Était ressassée à intervalles réguliers par la voix lancinante la formule « Tout s’accélère, tout s’accélère… » Quoi ? La course folle de l’accumulation capitaliste ? Non, aucune explication n’était suggérée à cette accélération dévastatrice. Alors ne restait plus dans ce « nous » que les 9 millions de téléspectateurs prêts à tout accepter depuis que ce film dont c’était la seule ambition avait déversé sur eux l’épaisse mauvaise conscience visqueuse qui les fustigeait, impuissants, à leur siège. Aucune allusion non plus au nucléaire, militaire ET civil dont les terribles ravages sont les mêmes sur la planète. Pas étonnant puisque le professeur Canardeau nous révèle comment va être rétribué l’efficace propagandiste du « grenelle de l’environnement » : par un décret que s’apprête à signer M. Alliot-Marie, l’« ONG » de Y. Artus-Bertrand, Good Planet, va devenir une fondation reconnue d’utilité publique, statut qui lui permettra d’accepter les legs et les dons de particuliers. Ceux-ci s’ajouteront aux parts de bénéfices versées par toutes les marques du groupe PPR (Pinault Printemps Redoute) qui va éditer en masse des produits estampillés « Home ». Cette info est encartée dans un article du Canard enchaîné daté du mercredi 3 juin (page 5) intitulé « Home » : un film gratuit très payant qui évoque les activités particulièrement « écologiques » du groupe PPR dont F-H. Pinault, mécène du film aux 1500 tonnes de CO2, est le patron. Un moment proprement pathétique : celui où Arthus-Bertrand nous confie que Sarko lui a demandé la permission de faire visionner le film à Barack Obama : et nous sommes soulagés d’apprendre que bien sûr, il la lui a donnée cette permission !
Par l’intox médiatique dont il a fait l’objet et le projet politique cohérent auquel il participe, ce film méprisable est un bon tremplin pour aborder avec ceux qui l’on vu l’escroquerie du « capitalisme vert », comme le fait Alain Bihr dans le numéro de mai d’ À contre courant syndical et politique. A nous d’alimenter aussi les analyses sur l’entrecroisement des crises écologique et économique comme le fait depuis quelques années François Chesnais dont la prochaine livraison de Carré rouge contiendra une critique du dernier livre d’Isabelle Stengers (Au temps des catastrophes , Les empêcheurs de penser en rond/ la Découverte) que l’on peut toujours lire en attendant.

Françoise Pinson