A propos du « contrat première embauche » : une politique délibérée de dislocation des conditions d’un combat centralisé contre la destruction du droit du travail et l’isolement de la jeunesse
Les ministres du gouvernement de Villepin-Sarkozy et les députés de la majorité UMP à l’Assemblée nationale ne font pas mystère des objectifs qu’ils poursuivent. Le « contrat nouvelle embauche » imposé par ordonnance en juillet 2005 et le « contrat première embauche », ou CPE, qui va être imposé moyennant le recours à l’article 49-3 ne sont que des étapes vers le « contrat unique de travail » que le Premier ministre veut proposer avant l’été. Ce sont des étapes vers la suppression du contrat à durée indéterminée, pilier affaibli mais encore débout du Droit du travail français. L’objectif est de transformer la précarité en condition absolument générale du rapport salarial, de façon à permettre au patronat de peser sur les salaires et les conditions de travail, de les aligner sur ceux des pays où les conditions historiques ont fait que les travailleurs n’ont pas eu les moyens de se défendre et d’arracher des droits.
Le CEP concerne donc l’ensemble des salariés. Il met en jeu la responsabilité des syndicats dans des conditions analogues à celles de la question des retraites en 2003. Les sondages indiquent que l’opposition au CPE est majoritaire dans le pays et plus encore dans la jeunesse, où ce rejet se renforce de jour en jour. Dans les zones qui n’ont pas été en vacances depuis quinze jours la grève a été effective dans les facultés de Rennes 1, Rennes 2, Toulouse 2, Toulouse 3, Nantes, Brest, La Rochelle, Poitiers... La presse régionale et certains sites militants ont fait état de mouvements nombreux locaux, partiels, inorganisés, dans des IUT, des BTS, des DUT, des Lycées professionnels, des Lycées agricoles et même des collèges et lycées privés.
La question qui se pose une fois de plus est donc la suivante : comment, après l’échec retentissant des partisans du Traité constitutionnel européen, un gouvernement désavoué dans les sondages, après l’avoir été le 30 mai sur le terrain d’un vote plébiscitaire, normalement gagné d’avance, peut-il continuer à imposer ses « réformes » réactionnaires ?
La réponse c’est que le gouvernement de Villepin-Sarkozy considère qu’il a les mains libres. Il sait que sur le plan de l’opposition politique les dirigeants du PS lui savent gré d’imposer des mesures qui ne leur échoiront pas, et il constate que les autres partis et organisations n’ont d’autre souci que les élections de 2007. Sur le plan syndical, il estime avoir reçu de la part des directions des gages d’une telle clarté au cours de l’automne, notamment lors des luttes à Marseille, gages ensuite confirmés par leur comportement lors des révoltes des jeunes des cités en novembre, gages renouvelés depuis l’annonce de l’ajout CPE à la loi « d’égalités des chances » (sic), qu’il estime pouvoir agir librement.
On a rarement assisté à un travail aussi minutieux de dislocation de toute mobilisation effective, travail auquel chaque direction syndicale a contribué. Choix du 7 février pour une première réaction à une mesure connue dès le 20 janvier, c’est-à-dire à une date tombant en période de congés scolaires en région parisienne. Choix savamment préparé par l’échec organisé de la journée d’action du 2 février dans la fonction publique, échec qui ne s’explique qu’en partie seulement par le lâchage de la CFDT, de la CFTC et de l’UNSA qui ont apposé leur signature au texte présenté par le gouvernement, car elle faisait suite à une journée d’action le 31 janvier ... ! Le 7 février, les directions syndicales, à commencer par celles prétendument « combatives » de la CGT et de la FSU, ont refusé de lancer un mot d’ordre de grève pour le 7 février, se contentant d’un préavis tardif et bien discret couvrant les salariés qui voudraient cesser le travail pour aller défiler. L’échec des manifestations le 7 février a été programmé et il est même étonnant que les défilés n’aient pas été une catastrophe totale. On a pu constater à Paris à quel point les cortèges lycéens et étudiants avaient été encadrés par les services d’ordre syndicaux et policiers, comme par les organisations dirigées par le PS, rendant extrêmement difficile tout acte de spontanéité militante.
Dans la semaine qui vient de s’écouler (20-27 février), la manière dont le personnel des partis politiques et les directions syndicales se sont répartis les rôles pour qu’il n’y ait aucun mouvement de fond contre le CPE apparaît en toute clarté : d’abord un baroud d’honneur parlementaire symbolique insignifiant le 21 ou 22 février dans les murs du Palais-Bourbon. Ensuite, deux semaines plus tard, le 7 mars une nouvelle journée d’action syndicale soutenue par les partis. FO a tout loisir de paraître subitement verser dans le radicalisme en appelant à la grève ce jour-là puisque le bureau confédéral de la CGT s’y refuse et annonce même son intention de participer à une « concertation sur l’emploi » annoncée par Villepin, en estimant que ce dernier « propose des objectifs valables qui rejoignent parfois les siens, sans que les moyens soient à la hauteur des intentions affichées ». La réunion de coordination parisienne des « comités du 29 mai » n’a pas mis la lutte contre le CPE à son ordre du jour et le meeting du PCF se tient sur la question des présidentielles de 2007.
Ce travail destructeur fait au nom de « l’inévitabilité de la mondialisation » et au compte de la paix sociale laisse les étudiants et les lycéens isolés, contraints de compter sur leurs seules forces et capacités d’organisation. Il est impossible de pronostiquer si les assemblées générales (parfois massives), les tentatives de coordination et les efforts qu’ils déploient déboucheront sur une mobilisation assez puissante pour entraîner la grande masse des salariés dans un refus efficace de ces mesures prises contre des droits conquis de haute lutte. Il va de soi que les lecteurs de Carré rouge leur apportent et leur apporteront tout le soutien possible pour qu’il en soit ainsi.
Mais ce travail de « sape » confirme aussi le fait que le refus des mêmes partis et syndicats de venir en aide aux jeunes des cités en novembre, ou même tout simplement de leur témoigner la moindre solidarité, n’était pas un accident.