Yves, grand penseur politique
Yves, je l’ai rencontré via la revue Carre Rouge. Cette revue qui existait de 1995 à 2013, rassemblait des militants issus de parcours politiques variés, mais plutôt trotskistes, ou anarchistes, avec le désir commun de créer des bases théoriques révolutionnaires. Au niveau de l’ouverture d’esprit et de l’ambition émancipatrice, c’était un peu nuit debout mais dans une cave remplie de trotskistes et dont le but était surtout de créer du contenu. Moi je m’occupais du site internet, c’est à dire de pas grand chose. Yves écrivait, rassemblait les articles, maquettait. Avec François, Christiane, Charles, puis Samuel et d’autres encore, ils avaient réussi à créer un cadre de réflexion très riche. La revue a été une référence théorique connue et reconnue dans les milieux d’extrême gauche et récemment le site marxism.org a récupéré toutes les archives de la revue.
Bon du coup, j’ai apporté un numéro que j’ai relu dans le train. On se dit que ça va vieillir mais non, au contraire, de nombreux passages restent terriblement justes et actuels. De plus, l’écriture d’Yves est génialement vivante. J’adore sa façon de mélanger beaucoup de connaissances, de citations avec un phrasé très dynamique comme radiophonique, il nous parle et ce avec beaucoup d’humour et de poésie.
Extrait Carré Rouge n°48 p 11
Mais de manière plus générale, je suis depuis longtemps
convaincu que l’utopie est une boussole
(pas un bréviaire), un point vers
lequel s’orienter, vers lequel tendre et
ordonner ses efforts. Et si elle transporte
une part de rêve, ce n’est pas
plus mal : il arrive que le réel nous pèse sévèrement…
Sa critique politique était toujours empreinte d’une sensibilité aiguë et d’une critique vive de l’aveuglement dans lequel on peut se retrouver. Je me rappelle en particulier d’une tirade terrible à propos du livre « Le siècle soviétique » de Moche Lewin dans laquelle il exprimait une critique (ou une autocritique) ferme de la période, durant laquelle l’OCI et ses membres mentaient sur ce qu’était URSS. C’est la seule personne que je connaisse qui ait critiqué aussi fermement cette période. Yves n’a pas cessé de réfléchir, n’a pas été bloqué par ses contradictions mais au contraire semblent s’en être nourri et en avoir tiré une lucidité et une sensibilité encore plus grande.
Pour finir, j’ai vu Yves pour la dernière fois il y a un peu plus d’un an, peu après les attentats de Charlie Hebdo. J’étais trop heureuse de le voir comme une trêve au milieu de l’hystérie générale. On a parlé de Sophie Wahnich, de la 5ème république, des contrôles au faciès dont était victime son fils. Ce grand blond était clairement multiculturel, comme moi, comme beaucoup. C’était rassurant de le voir et de partager avec lui mon inquiétude de ce climat raciste et électrique.
Yves c’était tout ça à la fois.
Yves le révolutionnaire, Yves le penseur, Yves l’humain au grand cœur.
Hommage lu lors des obsèques le mercredi 8 juin 2016