Journal de notre bord. Lettre 162 (le 4 décembre)

Extrait de la lettre de notre bord du 04/12/14. Retrouver la dans son intégralité sur le site Culture et révolution
Les économistes qui se positionnent comme de valeureux
fantassins intellectuels du capitalisme prédisent que
l’Afrique va connaître une croissance extraordinaire au
cours de ce siècle. Il n’est pas douteux qu’il y a
encore sur ce continent bien des terres à accaparer pour
l’agrobusiness, beaucoup de ressources à piller et de
main d’oeuvre à exploiter à outrance. Les chiffres
seront flatteurs et les réalités humaines et écologiques
plus catastrophiques que jamais. Outre le virus Ebola qui
frappe plusieurs pays subsahariens, c’est la peste qui
sévit depuis quelques semaines à Madagascar. C’est dire
l’état sanitaire de l’Afrique que les multinationales
considèrent comme un Eldorado pour les décennies à venir.
Dans cette configuration, il y a une donne qui n’est
jamais évoquée par les politistes et économistes experts
en chiffres, prédictions hasardeuses et mensonges : les
luttes des peuples d’Afrique pour leur dignité, leur
liberté et une existence meilleure. Ainsi presque rien
n’a percé du mouvement de révolte du 11 novembre au
Tchad des enseignants non-payés et des étudiants, ainsi
que celui des habitants contre la pénurie et
l’augmentation de l’essence. La répression de ces
manifestations a fait une dizaine de morts. Il est
également important de revenir sur les événements
récents au Burkina Faso dont les médias français se sont
rapidement désintéressés.
À la suite du renversement par le peuple du Burkina Faso de
l’autocrate Blaise Compaoré, une lettre d’une habitante
d’une ville de province de ce pays nous est parvenue dont
voici un large extrait :
« Nous sommes très contents mais aussi toujours sur le qui
vive concernant la suite des événements. Cependant, j’ai
le sentiment qu’une part du pessimisme burkinabé a disparu
avec son président et les gens ont maintenant le sentiment
de pouvoir, par leur nombre, faire bouger les choses et ça,
c’est merveilleux à voir ! »
« Bien sûr, la France a encore excellé en matière
d’affaire étrangère... c’est un ressenti profond de
manipulation de la part des puissances occidentales et
particulièrement de la France qui est en train de bouillir
ici... et le problème est que ce ressenti est tout à fait
justifié au vu des politiques françaises au Burkina Faso.
Tant que la France-Afrique ne cessera pas... le Burkina Faso
sera toujours pieds et poings liés à un système de fausse
indépendance. Ils ne pourront pas juger celui qui les a
maintenus la tête sous l’eau depuis 27 ans, celui qui a
tué pour arriver au pouvoir, celui qui a tué des
journalistes et opposants politiques, celui qui a totalement
écrasé le pays par des politiques terribles dictées par
le FMI. Pour moi, la misère qui règne ici, il en est
totalement responsable... les gens ont besoin de justice et
la France leur a enlevé cette possibilité en extradant
Blaise du Burkina Faso !... c’est juste une honte ! »
« La situation sécuritaire est revenue au calme pour le
moment, les Ouagalais ont balayé leur rue, les gens
cotisent pour financer les soins des blessés, des
collectifs issus de la société civile se créent... de
nouveaux espoirs vont naître ! »
Voici un témoignage qui tranche avec le traitement
médiatique expéditif et convenu en France de ce qui
s’est produit dans ce pays. Il est un des plus pauvres au
monde alors qu’il dispose de richesses minières et
produit beaucoup de coton, mais il est aussi un des plus
riches de longue date en capacités à créer, à
s’organiser, à contester et à se rebeller contre ceux
qui l’oppriment et le pillent allègrement pour le compte
des grosses entreprises occidentales. Du reste, une grève
des mineurs de l’or a éclaté dans la foulée du
soulèvement à Ouagadougou.
C’est bien aussi par peur d’un soulèvement social
général que les postes clés ont été confiés à des
militaires dont celui des Mines justement, de l’Intérieur
et de la Défense. Michel Kafando, le pantin ex-diplomate
ayant été choisi comme président en petit comité avec
l’aval de Paris, s’est empressé de nommer Premier
ministre le lieutenant-colonel Zida, ex-n°2 de la garde
prétorienne de Compaoré. On a là un tandem du genre
Poutine-Medvedev qui ne devrait pas du tout calmer bien
longtemps la colère des jeunes chômeurs, des paysans et
des salariés.
Ce témoignage en provenance du Burkina Faso met aussi
celles et ceux qui habitent l’hexagone français devant
leurs responsabilités. Car la fin de la Françafrique ne
peut s’envisager sans combattre ici l’État français
impérialiste qui a une base militaire à Ouagadougou. Cet
État oeuvre en synergie avec les patrons du CAC 40 pour
maintenir en place toute une série d’hommes de main à
leurs ordres à la tête des anciennes colonies françaises,
comme Idriss Déby au Tchad depuis 24 ans, comme Blaise
Compaoré chouchouté pendant 27 ans par tous les locataires
de l’Élysée. Ce dernier a été obligeamment exfiltré
par un hélicoptère français chez ses amis en Côte
d’Ivoire, les Ouattara, Soro et compagnie, qu’il avait
aidés à prendre le pouvoir au prix de grandes tueries.
Compaoré, qui fut aussi l’ami du massacreur Charles
Taylor au Libéria, coule à présent des jours tranquilles
au Maroc. Et dire que s’il avait décroché à temps du
pouvoir à Ouagadougou, il serait à la tête de la
francophonie comme François Hollande le lui avait promis...
Dans une bonne partie de l’Afrique, le soulèvement du
peuple burkinabé a été accueilli comme une embellie, un
gage d’espoir que d’autres canailles au pouvoir soient
un jour « dégagées » par la rue et que l’injustice
sociale n’est pas une fatalité.