AVEC LES OUVRIERS CHINOIS

La lecture de « Mon combat pour les ouvriers chinois » de Han Donfang avec la collaboration de Michaël Sztanke (éd Michel Lafon, 2014, 247 pages) suscite également beaucoup d’interrogations et de réflexions. Car il faut d’abord assimiler les nombreux éléments concrets qui s’y trouvent concernant la classe ouvrière chinoise au cours des vingt-cinq dernières années, avant de s’aventurer à formuler des jugements ou appréciations sur son avenir et sa capacité à jouer un rôle politique majeur.
Dans cette période, Han Dongfang a joué un rôle de premier plan pour aider et encourager les ouvriers chinois à se défendre sur tous les plans. Lui-même est un rescapé du massacre qui a suivi les manifestations de la place Tiananmen au printemps 1989. Soldat puis ouvrier aux chemins de fer, il a été actif dans ce mouvement en tant que fondateur du premier syndicat indépendant du pouvoir en Chine. Après avoir été emprisonné 22 mois dans des conditions extrêmement dures et avoir contracté la tuberculose, c’est grâce à des pressions internationales qu’il a pu être extradé aux Etats-Unis où il a dû subir l’ablation d’un poumon.
Après diverses tentatives infructueuses pour revenir en Chine, c’est finalement à Hong Kong que Han Dongfang a mis sur pied un dispositif militant, le « China Labour Bulletin », permettant de recueillir de nombreuses informations sur la condition des ouvriers en Chine, d’impulser de nombreuses actions juridiques et médiatiques et de fournir aux travailleurs en lutte des conseils susceptibles de négocier au mieux avec leurs patrons et d’améliorer leur sort.
Son analyse du fonctionnement du régime l’a amené à se tenir à l’écart des démocrates chinois rêvant de renverser le régime d’une manière ou d’une autre, pour se concentrer sur les minces marges d’action possible obligeant les gouvernements locaux, les entrepreneurs ou le gouvernement central à reculer, à indemniser des ouvriers victimes d’accidents ou de la silicose par exemple. Il se refuse donc à être un dissident politique au sens classique et déconseille aux ouvriers de s’engager dès maintenant dans la construction de syndicats indépendants qui subiraient immédiatement une répression impitoyable. La pression des travailleurs et le pragmatisme de certaines autorités locales permettent cependant de dégager des espaces de négociation permettant des avancées.
Il ne nous appartient pas de dire si Han Dongfang est trop prudent ou insuffisamment radical. Ce qui ressort de ce témoignage précieux, c’est la fertilité d’une approche très concrète des problèmes et d’une grande compréhension des réactions des ouvriers au cours de toute cette période essentielle pour la Chine comme pour le monde. Car c’est en introduisant le capitalisme à marche forcée, grâce à l’écrasement du mouvement de Tiananmen entre autres, que l’oligarchie issue du maoïsme a fait de la Chine cette « usine du monde », cet eldorado pour les investissements des grands firmes du monde entier. Cela s’est opéré avec un mouvement de privatisation des entreprises d’Etat qui a mis sur le carreau des dizaines de millions d’ouvriers et provoqué une surexploitation, en particulier dans les mines de charbon, dans des conditions hallucinantes.
Qu’une petite équipe autour du China Labour Bulletin ait cependant réussi à apporter une aide significative et de longue durée aux ouvriers en lutte relève de l’exploit. Leurs efforts ont porté leurs fruits. Un gage d’espoir se dégage avec la nouvelle génération ouvrière qui se laisse moins facilement impressionnée par la répression, qui est plus éduquée et trouve plus efficacement les moyens de faire valoir ses revendications.
Le prolétariat chinois est-il appelé dans le futur à jouer un rôle majeur dans la lutte des classes ? La question est ouverte. On ne peut que le souhaiter mais on ne peut pas l’affirmer à partir des reportages et analyses dont nous disposons actuellement en langue française.
Pour compléter utilement le témoignage de Han Dongfang, nous signalons à nouveau l’étude axée sur les ouvrières migrantes de la sociologue Pun Ngai, « Made in China » (éd de l’aube) dont nous avons déjà rendu compte, et celle de Chloé Froissart, « Pour un salaire juste, L’évolution des revendications ouvrières en Chine » qu’on trouvera dans le recueil « La Chine en mouvements » présenté et coordonné par Jean-Louis Rocca et Emilie Frenkiel (éd puf, septembre 2013, 101 pages).
Article paru dans [la lettre de notre bord 158 -http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_158_01-06-2014.html]