Journal de notre bord, lettre 156

Extrait de la lettre de notre bord du 25/03/14. Retrouver la dans son intégralité le site Culture et révolution
La machine institutionnelle et politique française vient de
montrer des signes de faiblesse avec une abstention record
approchant les 39 %. En ajoutant les gens ayant le droit de
vote mais qui ne sont pas inscrits sur les listes
électorales, c’est près de la moitié des citoyens qui n’ont
pas voté. Si on veut avoir une vue d’ensemble, il faut aussi
compter celles et ceux qui vivent dans ce pays et ne sont
pas citoyens : notamment, les près de deux millions de
personnes d’origine étrangère travaillant en France depuis
plus de cinq ans qui n’ont toujours pas le droit de vote aux
élections locales, en dépit des promesses de Mitterrand, de
Jospin et de Hollande. Cela donne déjà une idée de l’état de
décrépitude de la démocratie officielle dans le cadre d’un
vieux pays impérialiste comme la France.
Pour expliquer le niveau des abstentions, les commentateurs
ont invoqué diverses raisons bien réelles et qu’il faut
évidemment prendre en compte : déception et colère des
électeurs de François Hollande, progression du chômage,
fatigue à l’égard des discours politiciens, indignation face
aux affaires de corruption, mal vivre et morosité face à une
situation sans débouché visible… Mais il semble que personne
n’ait relevé que si la mécanique électorale se grippe et
fait de moins en moins recette, c’est aussi parce bien des
gens perçoivent qu’au fil des consultations électorales, ils
ont affaire à une caricature de démocratie. Leur avis ne
compte pas ou si peu. Et pourtant les élections municipales
étaient réputées être la forme de consultation où les
électeurs sont les plus proches des élus. Sauf que même à ce
niveau, le lien démocratique s’est encore plus distendu.
Avec la création des « communautés » de ceci et de cela, ces
inventions technico-bureaucratiques éloignent encore plus
les habitants d’une commune des questions qui les concernent
et des gens censés les régler.
Plus que jamais, les électeurs sont déconnectés de toute
forme de contrôle sur leurs élus, tandis que ces derniers
sont plus que jamais sous le contrôle des préfets et
l’emprise des lobbies capitalistes. Même dans des villages
bien tristes et dépourvus d’animations, de commerces de
proximité et de salles où se retrouver, des élus choisissent
de créer des « aménagements urbains » souvent inutiles pour
renflouer des grosses entreprises du bâtiment.
L’État s’est défaussé de ses obligations en termes de
services publics sur les régions et les communes qui se
retrouvent en position de gestionnaires obéissant au
critères de rentabilité, augmentant les impôts locaux et, le
plus souvent, gavant les entreprises privées en leur passant
commande de centres commerciaux, de stades, de multiplex de
cinémas en périphérie, ou en leur refilant la gestion de
secteurs comme ceux de l’eau, des transports et des salles
de spectacles.
Ce qui devrait être un espace de démocratie, c’est-à-dire
d’élaboration, de contrôle, de décision et de participation
de tout un chacun, n’est plus qu’une caisse de résonance des
colères, frustrations et mauvaises humeurs qui ont eu
largement le temps d’incuber dans ces espaces
non-démocratiques et même souvent tyranniques que sont les
entreprises, les pôles emploi ou les lieux de formation et
d’apprentissage. Dans ces lieux où nous avons encore moins
voix au chapitre que dans un isoloir, la seule injonction
est d’être performant ou d’être éjecté, éliminé, transformé
vite fait en perdant et en « cas social ».
Dans ces conditions, il nous faudra investir bien d’autres
terrains que celui des consultations électorales de la
Ve république pour faire face aux agressions et menaces qui
nous guettent. Hollande et le Parti socialiste mèneront la
même politique au service des riches et du CAC 40 même si
cela va les mener à terme à l’effondrement le plus
lamentable, exactement comme ce fut le cas pour leurs
homologues européens ces dernières années, Papandréou et le
PASOK en Grèce, Zapatero et le PSOE en Espagne, Schröder et
le SPD en Allemagne, etc.
La droite est de plus en plus d’extrême droite pour ne pas
perdre des parts du marché électoral. Le FN fait sa pelote,
comme Aube dorée l’a faite en Grèce en grande partie grâce
à la politique de larbin du socialiste Papandréou à l’égard
des milieux financiers et institutions capitalistes telles
que le FMI et celles de l’Union européenne. L’extrême droite
ne peut pas être stoppée dans sa progression par des
discours moralistes ni par des gens prétendument de gauche
qui campent sur le terrain de « l’intérêt national », du
protectionnisme et de cette forme de culte de l’État qu’on
appelle le souverainisme. Car c’est précisément sur ce
terrain fangeux que s’épanouit le Front National. Une pensée
politique qui est enfermée dans le labyrinthe politicien
hexagonal ne peut conduire qu’à des impasses ou des dérives.
Nous avons nos propres terrains à investir et à conquérir
pour créer une démocratie réelle et combative, vivante parce
qu’affranchie de toutes les frontières, émancipée des
carcans étatiques et marchands.
Comme en contrepoint ironique de ce premier tour d’élections
en France assez misérable, une immense manifestation s’est
déroulée samedi dernier à côté de chez nous, à Madrid,
contre les sacrifices imposés à la population. Six « marches
de la dignité » venues de différentes provinces ont convergé
en une manifestation de 100 000 personnes exigeant « du
pain, un travail, un toit pour tous » et clamant « Non au
paiement de la dette » et « Sauvons les personnes, pas les
banques ».
L’Espagne est aussi le pays où il existe un exemple d’une
véritable démocratie municipale, avec de nombreux services
publics gratuits, dans un village de 3 000 habitants,
Marinaleda en Andalousie, et cela depuis de nombreuses
années. Il y a là non pas un modèle mais un signe avant
coureur de ce qu’il nous faudra mettre en œuvre en nous
inspirant de cette expérience.
Ni en France, ni en Espagne, ni nulle part sur cette terre,
nous ne ferons le cadeau aux forces réactionnaires d’avoir
le moral en berne et de renoncer à prendre en mains nos
existences, de sauver nos vies et notre environnement
commun.