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La Grèce est un terrain d’essai.

La Grèce est un terrain d’essai. Ce qui s’y passe concerne les salariés et la jeunesse de toute l’Europe

Ce qui se joue actuellement en Grèce concerne les salariés et la jeunesse dans toute l’Europe, à commencer par la France, où ils sont confrontés à un gouvernement particulièrement vicieux avec lequel les syndicats maintiennent pourtant un dialogue fait de concessions continuelles. La Grèce est un terrain d’essai pour la mise en œuvre de mesures drastiques d’austérité budgétaire partout dans l’Union européenne. Les agents de la fonction publique en particulier sont dans la ligne de mire.

Pour les classes dominantes, il ne suffit pas que les salariés aient été les principaux, voire les seuls véritables victimes de la crise, et qu’ils aient connu depuis la fin de 2008 une dégradation très sérieuse de leur condition de vie en termes de chômage et de précarité d’emploi encore accrue. Il faut maintenant qu’ils subissent le poids principal des coûts afférents à la dette publique contractée lors du sauvetage des banques et des grandes entreprises. Entre les investisseurs financiers et les gouvernements, il n’y a aucun désaccord. Entre eux, il y a un partage des rôles, une profonde connivence. Dans tous les pays de la zone euro et de l’UE, le financement à l’automne 2008 du sauvetage des banques par les gouvernements, puis des mesures de soutien aux grandes entreprises, notamment dans l’automobile, s’est fait principalement par l’emprunt, moyennant l’émission de bons du Trésor sur les marchés des titres de la dette publique (les marchés obligataires). Sous l’effet conjugué de ces émissions, de la baisse des rentrées fiscales qui a suivi mécaniquement le recul de la production et des ventes et des nombreux cadeaux fiscaux aux entreprises, la dette publique a bondi selon les pays de la zone euro de 20 à 40 points de pourcentage du produit intérieur brut (le PIB). Pour la zone euro comme un tout le pourcentage moyen d’augmentation entre 2007 et 2010 est de 26,7%. A cet égard la France se situe dans la moyenne, mais aussi la Grèce. Là où les écarts deviennent importants, ce n’est pas tant pour les taux de croissance de la dette pendant ces trois ans, mais dans son montant calculé toujours en pourcentage du PIB. Le tableau reproduit plus bas montre que ces écarts vont de 45% à 116%. Le taux élevé de la Grèce est une des raisons qui l’a désignée comme première cible des investisseurs financiers.

Mais revenons d’abord aux banques. Non seulement ont-elles été sauvées de la faillite par les gouvernements, mais la manière dont ce sauvetage s’est fait leur a permis de se « refaire une santé » en quelques mois. Les bonus faramineux en sont l’une des expressions. Les banques ne sont pas ces institutions familières supposément dépositaires de fonctions économiques et sociales « socialement responsables », sinon quasi philanthropiques, comme le crédit aux PME. Ce sont des sociétés financières diversifiées très puissantes qui assurent à leur haut personnel de direction et à leurs actionnaires des flux élevés de revenus pompés sur la valeur et la plus value qui ont été créées par le travail. Leurs activités diversifiées leur permettent de jouer sur plusieurs terrains. Elles ont pu acheter les bons du Trésor émis par les gouvernements avec l’argent qui venait de leur être alloué pour les « sauver de la faillite ». Elles ont aussi transféré vers leurs filiales spéculatives (les Hedge Funds) une partie des liquidités à taux d’intérêt très bas dont les banques centrales du G7, Etats-Unis en tête, les ont fait bénéficier.

Les agences de notation sonnent la charge

Grâce au soutien des gouvernements, le pouvoir de la finance, loin d’avoir été affaibli par la crise, en sort donc renforcé. La finance peut donc donner de nouveau de la voix. Cachée derrière le vocable abstrait « les marchés », terme qui évoque une puissance mythique capable de déclencher la catastrophe si on la met en colère, se logent des institutions bien précises, c’est-à-dire précisément les grandes banques et les fonds de placement financier. Ces institutions ont décidé qu’elles étaient de nouveau suffisamment musclées pour spéculer contre les gouvernements et contre l’euro. Que le moment était également venu de rappeler aux gouvernements qu’il était temps de commencer à imposer aux salariés les mesures d’austérité garantissant le service des intérêts de l’ensemble de la dette et en partie le remboursement du principal. La finance a ses stratèges et ceux-ci ont jugé qu’il fallait commencer en attaquant les pays les plus faibles.

La finance se sent de nouveau si forte qu’elle ne craint pas la provocation. Ainsi c’est à l’oligopole étroit des trois sociétés financières dites « agences de notation » (Standard & Poor, Moodies et Fitch) qu’a été confié le rôle de sonner la charge en abaissant la note des bons du Trésor de la Grèce à BBB, déclenchant ainsi la spéculation contre les effets de la dette grecque et créant les conditions politiques du plan d’austérité. Ce sont ces mêmes agences de notation qui ont pourtant été jugées responsables en partie de la crise financière en juillet-août 2007, pour avoir continué en dépit de nombreux signaux d’alerte, de donner des notes très élevées aux effets privés contenant des créances hypothécaires irrécupérables dites subprime. La « refondation du capitalisme » dont Sarkozy s’est fait le chantre, devait notamment inclure leur mise sous tutelle publique. La mesure faisait soi-disant partie des grands travaux du G20. On voit ce qu’il en est. Le fait a été relevé par quelques journalistes, mais sans qu’ils en soulignent toute la portée en disant à quel point les investisseurs financiers se croient de nouveau en mesure de dicter la politique du capital et d’imposer aux gouvernements leur propre vue des mesures à prendre et des rythmes à suivre.

La spéculation contre les gouvernements sur les marchés obligataires et contre les monnaies sur le marché des changes est l’une des occupations favorites des investisseurs institutionnels. On peut spéculer à la baisse tout autant qu’à la hausse. Pour spéculer à la baisse, il suffit de prendre des positions à terme en ce sens sur les marchés dérivés et puis de provoquer le mouvement de baisse (mission accomplie en l’occurrence par l’oligopole fermé des agences de notation). C’est un jeu facile surtout quand l’opération est sans risque, se fait contre un gouvernement faible come celui de la Grèce mais qui sera in fine nécessairement secouru, ou contre une monnaie, ici l’euro qui est en tout état de cause surévaluée et dont une baisse légère est bienvenue de la part de certains secteurs des bourgeoises qui lui sont liées. Lorsque de surcroît la spéculation contre un gouvernement donné oblige celui-ci à consentir de payer des intérêts plus élevés sur les émissions de titres qu’il est obligé de continuer à faire, alors c’est vraiment « tout bénéf » ! Ainsi la Grèce est-elle obligée de payer plus que les autres membres de l’euro, 3,5% supérieurs à ceux de l’Allemagne.

L’Office européen des statistiques a publié le tableau suivant. Il est reproduit par Jacques Sapir dans un article récent (1).

Dans ce tableau, la colonne la plus importante est la quatrième, celle qui donne pour 2010 le niveau de la dette calculé en pourcentage du PIB pour chaque pays de la zone euro. On notera bien sûr, le chiffre record de l’Irlande dans la cinquième colonne, dont la dette s’accroît de 218% par rapport à 2007. Mais l’essentiel est la quatrième colonne. On voit que le niveau d’endettement de l’Italie est égal et même un tout petit peu supérieur à celui de la Grèce. C’est pourtant sur la Grèce que l’attaque spéculative s’est portée. Pourquoi ? Plusieurs raisons se conjuguent très certainement. D’abord, l’Italie est une économie plus grande et pour l’instant encore plus forte. Plus important encore, sa dette est détenue majoritairement par des investisseurs financiers italiens alors que ce sont les investisseurs étrangers qui détiennent les titres de la dette grecque. Ensuite, à un degré plus élevé que dans des pays dont le système fiscal fait une certaine place à l’impôt sur le revenu, les ressources fiscales de l’Etat grec dépendent presque exclusivement de taxes assises sur le niveau d’activité économique. Or celui-ci dépend de trois facteurs très vulnérables aux mouvements cycliques et aux crises – l’affrètement de la flotte maritime, le commerce avec les pays du Moyen-Orient et le tourisme (2). Enfin, ce qui a joué dans le cas grec, c’est que le gouvernement Papandréou a été élu après la crise gouvernementale provoquée par le soulèvement de la jeunesse de l’hiver 2008-2009. Cela désigne la Grèce comme le terrain où il faut provoquer et si possible, infliger une défaite aux salariés et aux étudiants et lycéens.

L’instrumentalisation politique de la dette publique

Il a été beaucoup question des tergiversations de l’Euro-groupe et de la BCE et des « messages » prétendument « confus » envoyés aux « marchés » par l’Union européenne. C’est la position de Jacques Sapir dans l’article cité. On peut y voir un partage des rôles entre les investisseurs financiers et les gouvernements et une expression deleur connivence, au moins autant qu’une expression de plus de l’incapacité de l’Europe « à parler d’une seule voix » pour utiliser la formule consacrée. Pendant quinze jours les investisseurs financiers ont engrangé beaucoup de profits spéculatifs et augmenté le taux auquel la Grèce doit emprunter. Dans le même mouvement ils ont forcé le gouvernement Papandréou à élaborer un plan drastique de réduction des dépenses et ils ont obtenu de Bruxelles et Frankfort, avec la bénédiction d’Angela Merkel et Sarkozy, la mise sous tutelle de la Grèce. Ils ont ainsi atteint leur autre objectif. Ils ont envoyé un message dénué d’ambigüité à tous les gouvernements de la zone euro, que l’heure est venue partout pour la mise en œuvre d’une vraie austérité budgétaire.

Le message a été entendu par les médias. Aujourd’hui 14 février le Journal du dimanche titre « L’heure des sacrifices est venue ». Demain Sarkozy reçoit les appareils syndicaux. Que pouvait-il souhaiter de mieux que « l’avertissement grec ». Le président de l’Office français de la conjoncture, Jean-Paul Fitoussi, qui est un fin connaisseur en la matière, a expliqué la chose ainsi : « La dette publique a toujours été instrumentalisée à des fins politiques. En soulignant le caractère élevé de la dette – personne n’a dit qu’elle était insoutenable – on favorise les réformes qui consistent à baisser les dépenses publiques. Car pour faire en sorte que la dette diminue, il faut réduire le déficit budgétaire, et comme aujourd’hui il est quasiment impossible – pour des raisons de concurrence fiscale en Europe – d’augmenter les impôts, cela signifie qu’il faut réduire les dépenses. C’est cela le message ».
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Notes

1. Voir Jacques Sapir sur le site de Marianne : http://www.marianne2.fr/La-crise-grecque,-un-camouflet-pour-l-euro-et-la-BCE_a185102.html
2. Jacques Sapir, article cité.
3. Jean-Paul Fitoussi, http://www.lemonde.fr/ (janvier 2006)

 
A propos de Carré Rouge
A quelques encablures du XXIe siècle, le système fondé sur la propriété privée des moyens de production et l’Etat bourgeois menace l’humanité entière de barbarie. La mondialisation-globalisation de la production et des échanges, la financiarisation des investissements, l’âpreté de la concurrence (...)
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